20 au 23/07: De Reykjavik au pied du Tindfjallajökull
6° année consécutive en Islande.
Routine absolue et facilité totale pour rejoindre le camping de Reykjavik en ce vendredi 20 juillet.
A tel point que je sens qu'il est temps de changer de destination pour la prochaine fois. L'aventure se construit déjà dans la préparation du voyage, la découverte des lieux et de la culture dans laquelle on va s'imprégner. Ce n'est plus le cas ici désormais.
En fait comme tous les ans, j'ai une arrivée morose à Reykjavik, toujours inquiet de ce qui risque de se passer dans le semaines à venir.
Mais cette année en particulier, j'arrive en plus de mon inquiétude sans doute légitime avec des tonnes de colère que je n'ai pas sues libérer à l'embarquement à Nice.
J'ai les valises qui débordent de dépit, de rage, de frustration et de je ne sais quoi encore.
Ici n'est pas le lieu pour m'épencher sur ma vie privée mais pour la première fois depuis que je voyage en Islande, je serai seul, définitivement seul, sans personne à qui penser, ni personne qui pensera à moi.
Et j'avoue que je suis assez déstabilisé par les évènements de ces dernières semaines... J'ai beau analyser dans tous les sens, je ne comprends rien à la logique qui m'a amené à cette situation. C'est un non-sens total et je n'aime pas que les choses m'échappent à ce point.
Arrivé en fin d'après-midi, il fait une chaleur rare à Reykjavik. Je tente aussitôt de joindre Mika mais mes sms ne semblent pas arriver à leur destinataire.
C'est dommage, j'aurais bien aimé partager quelques bières avec lui en ce vendredi soir et me sortir de cette morosité qui m'habite chaque fois en ces jours de longue migration.
Pour ne rien arranger, je découvre une alerte météo au camping incitant les gens à éviter de se rendre dans les hautes terres pour le week-end. Et pour qu'il y'ait alerte météo en Islande, ça veut dire que ça va certainement déménager sévère.
Mon timing est calculé de manière à moduler en fonction de la météo et je peux me permettre de sacrifier quelques jours, mais commencer par un stop prolongé au camping de Reykjavik n'est pas la meilleure chose qui puisse m'arriver avec cet état d'esprit. J'ai besoin d'action pour me vider la tête.
Mais il faut savoir rester raisonnable et je sacrifie mon premier jour de sécurité donc d'entrée, ici à Reykjavik.
Le vent forcit en soirée.
Pour les deux prochains jours en dehors de mes sorties obligatoires pour l'organisation logistique, mon environnement va se réduire aux deux mètres carrés de couleur jaune de la toile intérieure de ma tente.
Dans la touffeur de mon sac de couchage, j'écoute le souffle du vent et la pluie crépiter sur la toile. Au loin j'entends de temps en temps le bruit de pas qui courent dans les allées du camping, les voix étouffées de conversations dans les tentes autour de moi.
Seul, oui, je me sens vraiment seul. Je pourrais être à n'importe quel endroit du monde que je n'y verrais aucune différence.
Mon bouquin, le pendule de Foucault, ne m'est d'aucune utilité. Je n'arrive pas à lire. J'avais effectué plusieurs tentatives par le passé et n'avais jamais réussi à rentrer dans l'histoire. Je me suis dit que dans le désert en Islande, justement, je pourrais m'y concentrer sereinement... Ben tiens, tu parles... C'est loin d'être gagné.
Samedi, je m'occupe donc de faire les courses, de dispatcher mes colis en quatre paquets que je fais envoyer en différents points de mon parcours depuis la gare routière.
J'appelle Mika une dernière fois au cas où... Réponse... Super, il est à moins de 5 minutes de l'endroit où je suis.
Une toute petite heure à discuter entre deux capuccinos (on est vachement sérieux) de nos parcours et projets à venir et puis chacun repart de son côté, lui à préparer son départ de demain avec son groupe et moi à ruminer mes idées noires.
On se dit qu'éventuellement en fin de soirée, on pourra aller boire quelques bières mais la météo de plus en plus mauvaise ajoutée à son obligation de départ matinal du lendemain font que l'idée meurt d'elle même.
Dimanche... La très très grosse journée de merde, celle où t'as rien à foutre si ce n'est ruminer... et du foin à ruminer, j'en ai des tombereaux... Je ne risque pas de tomber en panne de conneries à me fourrer dans le crâne.
Traditionnel envoi de cartes postales à la famille plus deux dont je ne suis pas sûr de l'opportunité de les écrire, mais il est des choses que l'on a du mal à contrôler, alors, bon...
De nouveau recommencer à ruminer sur les choses que j'ai faites, pas faites, mal faites, etc... dans mon rubix'cube neuronal...
Et en arriver à la conclusion qui ne me satisfait pas du tout, parce que je n'aime pas reconnaitre d'avoir été con à ce point, d'avoir été conscient de l'échec obligatoire de mes décisions mais de ne pas avoir su maîtriser ma stupidité émotive irrationnelle... (empruntée hier à Patrick de la petite maison de l'étoile, magnifique chambre d'hôtes à Saint Delmas le Selvage).
"Se souvenir que la voix intérieure « tyrannisante » qui juge et pousse « à faire dans le difficile et le compliqué », n’est jamais celle de notre guidance intérieure, mais bien celle de l’égo qui se nourrit de problèmes, de drames et de grandiose. L’âme, elle, se nourrit de petites joies simples, de beautés et de fluidité."
Et bien voilà, c'est exactement ce que j'ai fait... Et le savoir ne m'est strictement d'aucun réconfort.
Pourtant comme le dit si bien le chanteur... It means nothing...
Heureusement, cette journée pourrie arrive à son terme. Même le pire a une fin.
Mais je suis très inquiet vis à vis de mon comportement pour les jours à venir. Je ne sais que trop à quel point face à la colère, mon seul échappatoire est l'excès dans mes prises de risques en montagne. Heureusement qu'il ne s'agit ici que de randonnée, sinon, je me lance droit vers le carton.
Je ne cesse de me répéter selon la méthode Coué à quel point il me faudra réfléchir à deux fois avant de me lancer dans des situations tendues, de bien faire gaffe à ne pas me laisser dominer par ma rage.
Lundi enfin...
8h, le bus, commun pour Landmannalaugar, Þorsmörk et Alftavatn, plus que blindé, forcément. Plusieurs bus sont affrêtés. Le dispatching se fait à Hella, lieu où habite mon ami Bjorn, dont la maison est à 500 mètres à peine du parking et que je ne peux aller voir, histoire de calmer encore davantage mes frustrations.
Me voici dans le 18 pour Alftavatn... Nous ne sommes plus que quatre dans le bus, strictement incompréhensible, alors que ceux pour les hauts spots touristiques débordent.
Bon, ça me va... Tout d'un coup, bizarrement, je me sens mieux, moins seul qu'au milieu du bordel que je me tape depuis vendredi entre bus et avions.
L'idée est de me faire déposer entre n'importe où et nulle part vers Hungursfit juste sous le Tindfjallajökull que j'espère gravir demain.
On fait une pause photo cascade sur l'Eystry-Ranga bien avant l'objectif de largage.
Mais l'endroit me plait et il est plus que temps de couper le lien avec les autres. J'en ai plus que soûper de mes relations aux autres ces derniers temps.
Moi avec moi, on devrait pas trop se disputer, encore que...
Mais ces jours-ci, j'ai du mal dans ma communication. Le type du bus veut pas me lâcher et il ne parle pas un mot d'anglais.
Et il lui parait inconcevable qu'on veuille rester là.
J'ai beau faire des signes, ça marche pas. Parmi les quatre, y'a une islandaise qui parle un peu français mais là aussi, ça coince. Ils peuvent pas comprendre. Le prochain bus n'est que jeudi, soit à trois jours, vous vous rendez compte? Ce n'est pas dans leurs gênes, ma démarche est incompréhensible.
Mais je m'en tape de votre bus. Moi, je marche maintenant... je marche... laissez moi, s'il vous plait, il n'est que temps...
Et tout de suite, 10 mètres, traverser la rivière, bien gonflée par les pluies de ces derniers jours.
Bien dans le bain tout de suite, c'est le moins qu'on puisse dire.
Le courant est très fort, de l'eau jusqu'à mi-cuisses. Bienvenue en Islande.
Gros déjeuner, plus séchage prolongé et je sens les bonnes vibrations me remonter le long des jambes.
ouahhhh, que c'est bon, ça y'est j'y suis, les conneries se diluent. On attaque?
Ouais, bon, je me suis un peu emballé en descendant ici.
La cascade, les roches rouges m'ont aveuglé... Je suis bien loin de l'objectif du soir.
Il est midi et longer l'Eystry-Ranga dans ce coin n'est pas forcément l'endroit le plus sympatoche du monde, même si les rauðarfossarfjöll donnent un peu de couleur au loin.
Ah, je me sens à la maison, c'est étrange, j'ai l'impression de n'avoir jamais quitter l'Islande. Je me sens bien, je retrouve intantanément les sensations de la marche dans le sable, les odeurs, le vent dans le visage, l'humidité de l'air...
Je suis chez moi, je reconnais les lieux comme si j'y'avais toujours vécu. Je n'ai besoin d'aucune carte tellement je suis imprégné des lieux.
Premiers ravinements à contourner, premières cascades.
La dépression du week end n'est pas tout à fait terminée (la météorologique, hein, pas mon coup de blues) et je vois traverser à la vitesse de la lumière un énorme grain à travers le désert entre l'Hekla et moi.
Très pratique, ça me permet d'anticiper et de bien me couvrir alors que je me demandais quelques secondes plus tôt si je me mettais en short.
Il me tombe alors dessus un déluge comme j'en ai rarement vécus en Islande.
En moins de 10 minutes, le gore-tex a rendu l'âme, transpercé. Il faut dire que mes fringues ne sont plus de première jeunesse et ont dû perdre pas mal de leurs capacités imperméables. Mais c'est vrai que le gore-tex n'est pas une barrière infranchissable comme le vante son fabricant. Je suis trempé de la tête aux pieds et le vent me rafraichit fortement.
Ben oui, ça y'est j'y suis pour de bon.
Il n'est plus question de faire de longs stops. Je ne m'arrêterai que pour planter la tente ce soir.
Je quitte la rivière à l'entrée de Blesamyri et désormais attaque la remontée vers le Tindfjallajökull, relativement inquiet au passage qui m'attend ici, sans certitude que ça va passer.
La pente devient vite escarpée et l'itinéraire devient amusant à calculer.
Il ne suffit plus de marcher désormais, il faut réfléchir aux passages, et là, je me régale.
Et très vite d'ailleurs, je me rends compte que celui que j'avais calculé le cul posé sur mon fauteuil à la maison est impossible à suivre et qu'il va falloir faire step by step.
Ce n'est pas fait pour me déplaire.
Le glacier commence à sortir des nuages, le pluie a quasiment cessé et la complexité de l'enchevêtrement des vallons de la Blesa apparait.
Descendre sur le névé, remonter le vallon de gauche, en sortir sur la crête à gauche du second névé puis on refera le point, etc, etc...
Changement de couleur instantané, ravin qui se creuse davantage. Maintenant, je n'ai plus trop le choix que de rester en rive gauche alors que selon mes plans initiaux, pour éviter au max de marcher sur les pentes raides du glacier, j'avais prévu de remonter sur la grosse bosse qu'on voit de l'autre côté.
Il n'est pas plus de 17 heures quand j'arrive sous le Tindfjallajökull. La météo redevient mauvaise. Je tourne un petit moment pour trouver un endroit assez dur et plat pour accepter ma tente.
Je me hâte de la monter, ça va tomber grave dans pas longtemps.
Comme souvent, à peine terminé et glissé sous l'auvent que le ciel se déchaîne de nouveau pendant une bonne heure.
Préparatifs pour une longue nuit, la première sauvage de cet été. Réorganisation du sac mieux que je ne l'ai fait à l'arrache en quittant Reykjavik ce matin.
Début sérieux de ma lecture du pendule de Foucault. Mon esprit n'est plus tourmenté.
Vers 19h30, la pluie s'arrête, je sors pour une petite exploration des lieux.
Oh surprise, l'Hekla sort son nez des nuages.
De même que le passage du glacier que je dois gravir demain.
Ca n'a vraiment pas l'air méchant. S'il n'y a pas de crevasses, ça va passer fingers in the nose.
Je ne l'ai pas fait exprès mais mon bivouac est juste au-dessus du magnifique canyon des sources de la Blesa, superbement veiné de rouge.
Heureusement parce que sinon l'endroit lui même est plutôt lugubre.
En toute fin de soirée, les nuages se déchirent et le soleil couchant m'offre une vue de premier ordre sur l'Hekla.
Je peux attaquer ma première ration de lyophilisés avec sérénité sous le regard bienveillant du plus terrible volcan d'Islande. Lors de sa dernière éruption, il a éclaté seulement 3/4 d'heure après que les scientifiques aient détecté son réveil.
Prends toi ça sous le bras pour t'endormir paisiblement.